Le temps du Bagne
Le Bagne entre au Musée
L'ouverture, fin 2014, d'un espace culturel & muséal au camp de la transportation à Saint-Laurent-du-Maroni manifeste le désir des élus & des habitants de se réapproprier l'histoire & la mémoire du bagne. Une démache qui fait le pont entre le passé & l'avenir de la région, les Saint-Laurentais. |Les Collections de l'Histoire n° 64. p.86-87|
Entretien avec Marie Bourdeau • Responsable du service patrimoine de Saint-Laurent-du-Maroni
L'Histoire : Mise en place en 1854, la transportation est officiellement arrêtée par le décret-loi du 17 juin 1938. Les prisonniers de Saint-Laurent-du-Maroni rentrent-ils dès ce moment-là ?
Marie Bourdeau : Non. Un ultime convoi arrive en novembre de la même année, uniquement composé relégués puisque la loi de 1885 sur la reléguation n'est pas alors abolie. Il faut attendre 1953 pour que le camp de transportation ferme effectivement ses portes, lorsque le dernier contingent de condamnés rapatriés en France métropolitaine quitte la Guyane.
Certains bagnards - il est difficile d'annoncer un nombre - choisissent de rester, notamment ceux qui étaient déjà ≪installés≫, avaient fondé une famille & une petite activité. Pour beaucoup de toute façon, le retour était difficile : ils avaient rarement conservé des liens avec leur famille et les perspectives de réinsertion semblaient mince. En revanche, les originaires d'Afrique du Nord sont très majoritairement repartis chez eux, il semblerait que les liens familiaux aient perduré malgré les années & l'éloignement.
L'H. : Que devient le camp de transportation une fois les derniers condamnés partis ?
M.B. : Dans les années 1950, l'Administration pénitentaire vend le camp de la transportation à un commerçant créole, Tanon. À la même époque, l'activité aurifère, qui s'était développée à partir des années 1880 sur le Haut-Maroni, décline. Les créoles ainsi que les Bushinengués qui travaillaient autour des places d'orpaillage descendent jusqu'à Saint-Laurent, désormais commune de plein exercice et sous-préfecture de la Guyane. Les cases du camp sont alors occupés par les migrants qui cherchent des emplois administratifs & commerciaux en ville.
Pendant trente à quarante ans, ils vivent ensemble au sein du camp créole & quelques anciens bagnards. À proximité, sur les berges du fleuve Maroni, les Bushinengués construisent des maisons sur pilotis.
L'H. : Donc, les gens s'installent dans les anciens bâtiments du camp malgré les événements sinistres qui s'y sont déroulés ?
M.B. : Tout d'abord, la population créole arrivé du Haut-Maroni, n'est que peu concerné par l'histoire du bagne en tant que telle. Le camp lui-même n'était pas plus sinistre qu'une caserne par exemple. Un seul quartier restait tabou & interdit, en particulier aux enfants, le quatier disciplinaire avec ses cellules et l'emplacement de la guillotine. Mais pour le reste il y avait une vie sociale & des échanges qui permettaient de dépasser en partie le caractère négatif du lieu et une appropriation nouvelle avec l'apparition des potagers. Lorsque l'on interroge les Saint-Laurentais qui ont grandi là, ils en gardent plutôt un bon souvenir et mettent en avant la liberté dont ils bénéficiaient à l'intérieur du camp pour jouer avec les autres enfants et des formes de solidarités proches de celles qu'on décrit pour les quartiers populaires traditionnels.
On voit encore aujourd'hui des traces de cette occupation civile dans le camp.
L'H. : À partir de là comment le camp de la transportation a t'il pu devenir un musée ?
M.B. : En 1983, Léon Bertrand, créole & petit-fils de bagnard, est élu maire de Saint-Laurent-du-Maroni. Alors qu'une partie de la population voulait oublier le passé du bagne, Léon Bertrand, cherche au contraire à le réhabilité et à faire en sorte que la population se réapproprie positivement le lieu. C'est lui qui lance l'idée d'un musée du bagne. La municipalité procède au rachat symbolique du terrain et initie un chantier de restauration de très grande ampleur. Le camp est alors classé au titre de Monuments historiques en 1995.
Avant de mettre en œuvre le projet du musée, il faut reloger les habitants du camp et des berges. Dans la continuité des politiques de résorption de l'habitat insalubre expérimentées en région parisienne dans les années 1970, on construit à Saint-Laurent deux quartiers. Celui de la Charbonnière est autoconstruit sur le modèle de l'architecture traditionnelle bushinengué au bord du fleuve. Les occupants du camp de la transportation sont relogés sur les terrains de maraîchage de l'ancienne administration pénitentiaire.
L'H. : Comment avez-vous constitué les collections, par définitions très dispersées ?
M.B. : Tout d'abord, nous avons retrouvé les archives liées à l'histoire de la commune pénitentiaire, qui nous ont donné accès à un pan de l'histoire très peu étudié. Ces archives sont constitués de plans anciens, de registres d'état civil, d'affiches… Ensuite nous avons fait un appel aux dons auprès des Saint-Laurentais et plus largement auprès des collectionneurs métropolitains (notamment Frank Sénateur, Arnauld Heuret), puis pris contact avec les institutions muséales métropolitaines & guyanaises¹. Ainsi, nous avons pu composé un fond d'iconographies numériques (photographies anciennes, cartes postales…), de ≪camelotes≫, c'est-à-dire des objets fabriqués par des bagnards (noix de cocos gravées, guillotines miniatures, dessins), mais aussi d'uniformes de surveillants ou de transportés qui seront présentés dans le parcours d'exposition.
MuCEM, Musée des Cultures Guyanaises, Musée de Saint-Martin-de-Ré-Ernest-Cognacq, Musée de la Seyne-sur-Mer, Musée de Franconie à Cayenne.
L'H. : Comment ces objets et représentations iconographiques sont-ils mis en scène ?
M.B. : Avec l'aide d'historien du bagne (Michel Pierre, Danielle Donet-Vincent mais aussi Jean-Lucien Sanchez, Marine Coquet) et le concours de l'architecte scénographe Florence Le Gall & la direction des Affaires Culturelles de Guyane, nous avons décliné le parcours d'exposition ≪Bagne≫ sur trois axes : le voyage, la vie quotidienne, la fin du bagne. Ces thématiques sont illustrées par des voix et des visages de bagnards qui nous accompagnent tout le long de la visite.
Le public est d'abord projeté dans l'ambiance du voyage, grâce à des images d'archives, photographies, actualités filmées, puis il découvre à travers les registres matricules et les fiches anthropométriques les transportés envoyés au bagne. L'administration pénitentiaire est représentée par les uniformes, l'un ayant appartenu à Alexandre Gendarme, directeur du bagne dans les années 1920.